Il n’était ni à Lussas ni à Gindou où son film a été projeté mais il y a environ un mois, Oriol Canals, a séjourné à Ouidah, au festival Quintessence. Au-delà de l’aspect touristique de la ville qui pourrait motiver le réalisateur, c’est la première fois que le film est présenté en Afrique. Un film dont l’approche filmique assez singulière et inédite a plu au jury. Les ombres : premier long métrage documentaire de ce réalisateur espagnol de 44 ans basé à Paris. … minutes d’images sur l’immigration, concoctées dans une démarche filmique assez singulière. Il n’y a presque pas de commentaires si ce n’est au début. Surtout pas d’interrogatoire. Réglé à l’avance, le matériel de tournage fonctionne de lui-même. Seul devant la caméra comme en face d’un stylo et du papier, plusieurs immigrés africains (Mali, Burkina-Faso, Ghana, Sénégal, etc…) défileront tour à tour pour envoyer une sorte de lettre, audiovisuelle à leurs familles. Des scènes du quotidien entrecoupent les moments de paroles. Même si cette option de réalisation ne se voit pas dans le film, à l’arrivée, Les Ombres tranchent avec les documentaires habituellement réalisés sur l’immigration clandestine. « Je n’avais jamais vu cela auparavant », avoue Jean-Baptiste Hervé, journaliste canadien. Sans papiers, sans domicile fixe, livrés aux intempéries, au froid et à la chaleur, obligés d’aller d’une région à l’autre à la quête d’un travail et surtout victimes du regard condescendant de la société espagnole qui se méfie d’eux, les hommes livrent avec le peu de fierté qui leur reste leurs déboires, parlent de leurs espoirs. Une chose est sûre, ils gardent encore leur dignité. Celle-là qui leur permettra d’aller jusqu’au bout. Autant ils déconseillent aux autres qui sont restés de ne pas venir, autant ils ne retourneront pas sans avoir obtenir le gain du voyage outre Atlantique. Catalan dont l’adolescence fut bercée par les images télévisées de bateaux de fortune qui déversent trop de morts et peu de survivants à chaque printemps sur les côtes espagnoles, c’est avec une curiosité mêlée d’une envie de redonner une dignité à ces êtres, fugitifs, cachés dont l’humanité semble nier l’existence qu’Oriol Canals se décide à faire le film. C’est à Lérida, village fruitier, situé à 150 km de Barcelone et ses environs que les images sont tournées. Démarrée en 2005, l’aventure va durer 4 ans au bout desquels, le film va sortir et les lettres envoyées aux familles des immigrés. Outre les récits, le bain linguistique est enrichissant. 8 langues ou dialectes au total : du wolof au bambara en passant par le français et l’anglais. Les images renvoient à la surface, les facettes enterrées d’un phénomène qui peu à peu est tombé dans la banalisation tant en Afrique qu’en Europe. Si le film n’a pas encore été projeté en Espagne, il a par contre été vu à Cannes. A Quintessence, le festival du film en janvier, il remporte le Python du meilleur documentaire.
Alban CODJIA